Spinoza, L'Éthique, III, II, scolie, p. 418
[ ] l'expérience montre assez - et au delà - que les hommes [ ] que les hommes ne peuvent rien moins que de régler leurs désirs; d'où vient que la plupart croient que nous n'agissons librement qu'à l'égard des choses que nous désirons modérément, parce que le désir de ces choses peut être facilement contrarié par le souvenir d'une autre chose dont nous nous souvenons souvent; mais que nous ne sommes pas du tout libre à l'égard des choses que nous désirons vivement et qui ne peut être apaisé par le souvenir d'une autre chose. Mais, en vérité, s'ils ne savaient par expérience que nous accomplissons plus d'un acte dont nous nous repentons ensuite, et que souvent - par exemple lorsque nous sommes partagés entre des sentiments contraires - nous voyons le meilleur et suivons le pire, rien ne les empêcheraient de croire que nous agissons toujours librement. C'est ainsi qu'un petit enfant croit désirer librement le lait, un jeune garçon en colère vouloir se venger, et un peureux s'enfuir. Un homme ivre croit dire d'après un libre décret de l'esprit ce que, revenu à son état normal, il voudrait avoir tu; de même le délirant, la bavarde, l'enfant et beaucoup de gens de même farine croient parler selon un libre décret de l'esprit, alors que pourtant ils ne peuvent contenir leur envie de parler.
L'expérience elle-même n'enseigne donc pas moins que la Raison que les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants de causes par lesquelles ils sont déterminés; elle montre en outre que les décrets de l'esprit ne sont rien en dehors des appétits mêmes, et sont par conséquent variables selon l'état variable du corps. Chacun, en effet, règle tout suivant son sentiment, et ceux qui, de plus, sont partagés entre des sentiments contraires ne savent ce qu'ils veulent; quant à ceux qui n'en ont point, ils sont tiraillés de-ci de-là par le plus léger motif.
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